Les auteurs du Nouveau Testament avaient-ils conscience d’écrire la Bible ?
Article de Michael J. Kruger initialement publié en anglais le 13 mars 2017 sur son blog, Canon Foder.
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Une erreur des plus répandues concernant le canon du Nouveau Testament est que les auteurs de ces textes ne savaient pas qu’ils écrivaient des livres qui feraient partie des Écritures. J’ai traité cette idée reçue dans d’autres articles (ici, en anglais), en soutenant qu’il existait bel et bien une conscience apostolique chez les auteurs du Nouveau Testament.
Si cette conscience apostolique est plutôt facile à démontrer chez des auteurs tels que Paul, qu’en est-il des évangiles qui sont, en théorie, formellement anonymes ? Y trouvons-nous des preuves qui laissent à penser que les auteurs savaient qu’ils écrivaient la Bible ? Creusons cette idée en nous concentrant sur l’un de nos quatre évangiles : l’évangile selon Matthieu.
Avant tout, soyons au fait de ce que nous espérons y trouver. Matthieu ne nous dira pas : « Moi, Matthieu, j’écris la Parole en écrivant ce livre. » Le style des évangiles est très différent de celui des épîtres et nous ne nous attendons bien évidemment pas à ce que les auteurs fassent des déclarations directes et explicites quant à leur autorité, comme le fait Paul dans ses lettres. En effet, les auteurs des évangiles se placent volontairement en coulisses et ne font que de rares apparitions dans leurs récits.
Leur anonymat formel ne constitue cependant pas la preuve que les auteurs ne considéraient pas ces textes comme étant marqués d’autorité. Armin Baum soutient que les livres historiques du Nouveau Testament (les évangiles et les Actes) étaient intentionnellement écrits sous anonymat dans le but d’émuler les pratiques des livres historiques de l’Ancien Testament, eux-mêmes anonymes — contrairement aux autres écrits de l’Ancien Testament tels que les prophètes, dans lesquels l’identité de l’auteur est révélée. [1] Ainsi donc, l’anonymat des évangiles, loin de diminuer l’autorité scripturaire, servait en réalité à l’accentuer, en plaçant sciemment ces écrits dans la « tradition historiographique de l’Ancien Testament. » [2]
L’évangile selon Matthieu est celui qui contient le moins de traces de la tradition apostolique (Matthieu 9:9, 10:3). Quelques indices nous montrent néanmoins que cet évangile a été écrit avec l’objectif de faire partie des Écritures. Il n’y a qu’à considérer la manière tout à fait unique dont Matthieu débute son ouvrage avec un « titre d’ouverture » (verset 1), suivi d’une généalogie (versets 2-17). Selon Davies et Allison, les premiers mots de l’évangile, Biblos geneseos sont davantage une référence au livre dans son ensemble qu’à la généalogie contenue dans les versets suivants [3] :
La Genèse était un Biblos, disent-ils, et son nom était genesis. D’aucuns se sont donc tout naturellement demandé si l’utilisation introductoire du terme Biblos Geneseos n’a pas conduit les lecteurs de Matthieu à penser au premier livre de la Torah pour considérer celui-ci comme étant une ‘nouvelle Genèse’, la Genèse de Jésus-Christ. [4].
L’ouverture du livre de Matthieu serait donc à comprendre ainsi : « Nouvelle Genèse formée par Jésus-Christ. » [5] Une telle ouverture suggère que Matthieu emprunte sciemment un style scriptural ; il considérait son livre comme étant une suite de l’histoire biblique, et voulait que tous le considèrent de la même manière. Le fait que Matthieu semble modeler son évangile d’après le modèle vétérotestamentaire est confirmé par son évocation d’une généalogie qui place l’histoire de Jésus au sein de l’histoire d’Israël, en mettant tout particulièrement l’accent sur David.
Nous savons tous que la généalogie est un genre bien connu de l’Ancien Testament, très utilisé pour démontrer le déroulement historique des activités rédemptrices de Dieu parmi son peuple. À cet égard, le parallèle le plus étroit avec l’évangile de Matthieu est le livre des Chroniques, lequel commence également par une généalogie mettant l’accent sur la lignée davidique.
Si les Chroniques étaient considérées, au premier siècle, comme le dernier livre du canon hébraïque, comme le pensaient certains érudits, l’évangile de Matthieu s’avère être un excellent candidat à la suite de l’histoire. Car un Ancien Testament se fermant sur le livre des Chroniques aurait placé Israël dans une position eschatologique, regardant vers le jour où le Messie, fils de David, viendrait à Jérusalem pour apporter à son peuple la délivrance. Et si tel est le cas, l’ouverture du premier chapitre de Matthieu montre bien qu’il a l’intention de finir l’histoire. Il la reprend à l’endroit où l’Ancien Testament l’avait laissée, avec une attention toute particulière portée à David et à la délivrance d’Israël. Que l’on accepte ou non l’idée que les Chroniques marquent la fin du canon hébraïque, les liens étroits entre Matthieu et ce livre demeurent.
En effet, c’est sur cette idée que Davies et Allison concluent que Matthieu « considérait son évangile comme étant la suite de l’histoire biblique — et peut-être même comme appartenant à la même catégorie littéraire que celle des cycles scripturaux traitant des personnages de l’Ancien Testament. [6]
Notes et références
[1] Armin D. Baum, “The Anonymity of the New Testament History Books: A Stylistic Device in the Context of Greco-Roman and Ancient Near Eastern Literature,” NT 50 (2008): 120-142.
[2] Baum, “Anonymity,” 139.
[3] W.D. Davies et D.C. Allison, The Gospel According to Saint Matthew (ICC; Edinburgh: T&T Clark, 1997), 150–153.
[4] Davies et Allison, Matthew, 151.
[5] Davies et Allison, Matthew, 153.
[6] Davies et Allison, Matthew, 187.