Adam a t-il réellement existé ?
Le débat sur l’historicité d’Adam fait rage dans les milieux chrétiens outre-atlantique. Dans notre microcosme évangélique francophone, cette question reste marginale. Cependant, certains, se déclarant eux-mêmes évangéliques, mettent en doute l’existence d’un premier homme historique appelé Adam.(1)
Kevin DeYoung, pasteur à East Lansing dans le Michigan (USA), a écrit en février 2012 un article dont le titre est “10 raisons de croire en un Adam Historique“.
J’ai retranscrit ci-dessous ses 10 points, à la suite desquels j’ai pris la liberté d’en mentionner quelques autres.
Voici les 10 raisons évoquées par Kevin DeYoung dans son article :
1. La Bible ne met pas une séparation artificielle entre histoire et théologie.
Bien sur, la Genèse n’est pas un manuel d’histoire ou un livre de science, mais de là à dire que nous devrions séparer le bon grain théologique de l’ivraie historique, il y a tout un monde. Un telle division procède plus des philosophes des Lumières que la Parole de Dieu.
2. Le récit biblique de la création est destiné à supplanter les autres récits antiques de la création plutôt que de les imiter.
Ce que Moïse veut montrer au peuple de Dieu, ce sont « les choses telles qu’elles se sont passées. » Le Pentateuque est rempli de mises en garde contre tout compromis avec la culture païenne. Il serait dès lors surprenant que la Genèse débute avec un récit mythique de plus.
3. Les premiers chapitres de la Genèse ont bien un style particulier, mais rien n’indique que ce style soit poétique.
Comparez Genèse 1 avec le psaume 104, par exemple, et vous verrez à quel point ces textes sont différents. Il n’est tout simplement pas exact de parler de poésie quand on parle de la Genèse. Et même si c’était le cas, qui a dit la poésie serait historiquement moins fidèle ?
4. Il n’y a pas de cloison entre l’histoire d’Adam en Genèse 2 et celle d’Abraham en Genèse 12.
Vous ne pouvez pas mettre les chapitres 1 à 11 de la Genèse de côté comme s’il s’agissait d’une forme de préhistoire […]. Moïse fait délibérément le lien entre Abram et toute l’histoire qui s’est déroulée avant lui, et ce jusqu’à l’évènement d’Adam et Eve dans le jardin.
5. Les généalogies de 1 Chroniques 1 et de Luc 3 traitent Adam comme un personnage historique.
6. Paul croyait en un Adam historique (Rom. 5.12-21; 1 Cor. 15:21-22, 45-49.).
Même certains révisionnistes sont assez honnêtes pour admettre cela; ils maintiennent simplement que Paul (et Luc) avaient tort.
7. Tout le poids de l’histoire de l’interprétation penche du côté de l’historicité d’Adam.
La littérature du judaïsme de la période du second temple affirme qu’Adam était un personnage historique. L’histoire de l’interprétation de l’église le fait également.
8. Sans ascendance commune, nous perdons toute base solide pour croire que toutes les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique ont la même nature, la même dignité, la même image de Dieu, le même problème de péché, et que, malgré nos divisions, nous faisons tous partie d’une même famille provenant des mêmes parents.
9. Sans Adam historique, la doctrine paulinienne du péché et de la culpabilité originels ne tient plus.
10. Sans Adam historique, la doctrine paulinienne du second Adam ne tient plus.
Voici quelques arguments supplémentaires qu’il me parait important de relever :
11- En Romains 5:14, Paul met clairement en parallèle le personnage d’Adam avec le personnage de Moïse.
Sauf à considérer que Moïse ne soit pas lui non plus un personnage ayant eu une existence réelle, il devient très difficile de dire que Paul ne s’est pas prononcé en faveur de l’historicité d’Adam. Et par la bouche de Paul, c’est bien le Saint-Esprit atteste de ces choses.
12- Jésus lui-même fait référence à un Adam historique, lorsqu’il mentionne la création de l’homme et de la femme en répondant aux pharisiens sur la question du divorce (Matt. 19:3-6)
13- Jude croyait autant en l’historicité d’Adam que Paul ou Jésus (cf. Jude 14)
14- Si Adam n’est pas un personnage historique, est-ce que ceux que la Bible déclare être ses descendants directs le sont ?
Est-ce que Noé l’est ? Est-ce qu’Abraham l’est ? Derrière ces questions se profile l’interrogation au sujet de l’historicité de tout ou partie de la Genèse : quand commence t-elle ? Et pourquoi ?
15- Nier qu’Adam ait été un personnage historique conduit tout naturellement à nier qu’il y ait eu un évènement historique appelé “la chute“.
Or le Nouveau-Testament dans son ensemble présente la chute comme un évènement historique, dans lequel un seul homme est désigné responsable de l’entrée du péché et de la mort dans le monde (Rom. 5:12ss, 1 Cor. 15:21-22).
Pas d’Adam historique = pas de chute historique = pas de péché originel = de quoi avons-nous besoin d’être sauvé ?
C’est alors le fondement même de la Bonne Nouvelle qui tombe à terre.
16- Nier qu’Adam ait eu une existence historique conduit implicitement à remettre en cause l’enseignement de Paul sur la résurrection.
Car tous ceux qui revivront en Christ sont nécessairement et préalablement morts en Adam, c’est à dire en sa chute. Et il faut nécessairement que la mort soit venue par un seul homme pour que la résurrection vienne également par un seul homme (cf. 1 Cor. 15:21-22). En d’autre termes, si dans la ligne de temps créée par Dieu il n’y a ni Adam historique ni chute historique, alors dans cette ligne de temps il n’y aura pas non plus de résurrection corporelle…
Or, si les morts ne ressuscitent pas corporellement, « votre foi est vaine, et vous êtes encore dans vos péchés. » (1 Cor. 15:17)
Ce billet a été écrit à la volée, et je n’ai pas cherché à développer ces pensées plus en profondeur. Mais je pense que dans l’avenir le débat gagnera en intensité, et les occasions d’écrire à nouveau sur ce sujet ne manqueront pas.
La plupart des tenants de la théorie du cadre (2) doivent faire face au challenge inhérent à leur position, à savoir déterminer ce qui est historique de ce qui ne l’est pas dans le récit des origines. Et je crains qu’en matière d’historicité d’Adam, plusieurs d’entre eux soient en équilibre précaire sur un bien mince fil herméneutique…
GB
Notes et références :
(1) Voir par exemple le blog Création et Evolution de Benoit Hébert qui relaie plus que largement ce type de pensée. (retour)
(2) La théorie du cadre est probablement l’approche littéraire des textes créationnels de la Genèse la plus répandue dans les milieux évangéliques francophones. Pour lire une critique de cette position, voir l’article du Pasteur Paulin Bédard, “Critique de l’interprétation Cadre ou Littéraire de Genèse 1“, dans le n° 252 de La Revue Réformée de novembre 2009. (retour)