Qui est « le prochain », dans la Bible ?

Cet article de Charles Nicolas est une réponse au podcast « Faut-il s’aimer soi-même pour « aimer son prochain comme soi-même » ?« , dans lequel Mat Moury développe une compréhension différente de la notion de « prochain ».

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Bien que le docteur de la loi ait interrogé Jésus « pour l’éprouver » (Lc 10.25), puis pour « se justifier » (v. 29) nous savons que la question qu’il pose est bonne puisque Jésus y répond. Cette question : Qui est mon prochain ? est en effet d’une très grande importance, puisque de la réponse dépend la compréhension du deuxième commandement le plus important de la Loi (v. 27). Comment, en effet, obéir à un commandement dont on ne comprend pas précisément le sens ?

Pour comprendre l’enjeu de ce récit et ne pas le réduire à une simple leçon de morale, il faut nous souvenir de ce qui est en train de se jouer : les dialogues avec Nicodème et avec la femme samaritaine ont déjà laissé entrevoir un changement en train de s’opérer dans le développement du dessein de Dieu. Le ‘quiconque’ de Jean 3.16 annonce tout à la fois un jugement au sein du peuple d’Israël (quiconque croit, cela signifie seulement ceux qui croient) mais aussi une ouverture aux non juifs (quiconque, c’est n’importe qui, dès lors qu’il croit).

C’est là ce que Paul appellera plus tard « le mystère de Christ, caché dans les générations passées mais révélé maintenant » : c’est que « les païens (qui croient) sont cohéritiers, forment un même corps et participent à la même promesse en Jésus-Christ par l’Evangile » (Eph 3.4-6). Dans l’histoire du Salut, un changement considérable de format du peuple de Dieu est en train de s’opérer. Une samaritaine, un centenier romains, comprennent plus vite qu’un docteur de la Loi ![1]

La parabole que raconte Jésus s’inscrit dans le dévoilement de ce mystère : la scène se passe en terre d’Israël (les sacrificateurs et les lévites ne s’aventuraient pas au-delà). L’homme qui descendait de Jérusalem à Jéricho est un Juif, membre du peuple de Dieu. Le Samaritain est en voyage (v. 33), sur le territoire d’Israël. La pointe de la parabole, ce n’est pas qu’un homme en secoure un autre ; c’est qu’un étranger prenne soin d’un membre du peuple de Dieu. C’est là l’avertissement qu’adresse Jésus au docteur de la loi qui l’interroge, en écho à Jean 1.11.

Ce que Jésus veut mettre en lumière, c’est que les religieux juifs qui ont vu cet homme juif blessé auraient bien-sûr du s’arrêter : non seulement par humanité, mais en vertu des commandements prescrits par Dieu pour Son peuple : « Vous serez saints car je suis saint, moi, l’Eternel votre Dieu… Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lév. 19.2, 18). Dans l’A.T., le prochain, c’est le compatriote. Or, il s’est trouvé un étranger pour manifester que la grâce de Dieu est en train d’opérer dans son cœur : non seulement sur un plan humain mais en rapport avec Dieu. En effet, ce que l’on fait à un membre du peuple de Dieu, c’est à Dieu qu’on le fait ; et si c’est un étranger qui agit ainsi, son action est considérée comme un acte de foi envers Dieu, un fruit de la grâce, une forme de piété. C’est pourquoi Jésus affirme que ce Samaritain peut dès à présent être compté comme prochain (v.36-37), terme normalement réservé aux membres du peuple saint (Lév 19.17-18) : non par son altruisme mais par la foi (foi non formulée ici, mais réelle) que son attirude démontre (Jc 2.14-18).

Ce fut le cas de Rahab la prostituée cananéenne qui a accueilli les espions hébreux (Jos 2.1-21). Elle n’agit pas « par humanité » mais par foi : « L’Eternel, je le sais, vous a donné ce pays » (Hé 11.31). Ce fut le cas de Ruth la Moabite qui a choisi de suivre Naomi en terre d’Israël (Ruth 1.15-18). Ces deux femmes étrangères sont dans la généalogie de Jésus ! Voir aussi 1 Rois 17.8-9,12.

Dans le Nouveau-Testament, c’est le cas de la femme cananéenne (Mt 15.21-28) et du centenier (Lc 7.2 -10) dont les Juifs peuvent dire : « Il aime notre nation », et au sujet duquel Jésus dira : « Même en Israël je n’ai pas trouvé une aussi grande foi ». Lors de la guérison des 10 lépreux (Lc 17.11-21), un seul est revenu vers Jésus, un Samaritain. « Les dix n’ont-il pas été guéris ? demande Jésus. Et les neuf autres, où sont-ils ? Ne s’est-il trouvé que cet étranger pour revenir et donner gloire à Dieu ? Puis il lui dit : Lève-toi, va : ta foi t’a sauvé ». La parabole du jugement dernier (Mt 25.31-46) et les textes parallèles (Mt 10.42 ; Mc 9.41 ; Hé 6.10) confirment ce principe présent dans toute l’Ecriture : ce que l’on fait à un membre du peuple de Dieu, c’est à Dieu qu’on le fait : « Toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ses plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ». C’est encore le cas de Corneille, un autre centenier romain, dont il est dit : « Cet homme était pieux et craignait Dieu ; il faisait beaucoup d’aumônes au peuple (Israël) et priait Dieu continuellement »(Ac 10.1-2).

 

Qui est donc le prochain ? Dans le langage courant de notre société humaniste, c’est l’autre, celui que je croise dans la rue, tous les autres. Mais qu’en est-il pour la Bible ? En Israël, au temps de l’Ancien-testament (mais aussi au temps de Jésus), le prochain est le compatriote, le membre du peuple de Dieu. Ce n’est donc pas la proximité géographique qui fait le prochain, c’est la commune appartenance.

Nous avons une illustration de cela dans le livre de l’Exode au chapitre 2. Moïse qui a été élevé à la cour de Pharaon se souvient qu’en réalité il est hébreu. Voyant un jour un Egyptien se disputer avec un Hébreu, il s’interpose et tue l’Egyptien. Le lendemain, il voit deux Hébreux se quereller, veut de nouveau s’interposer et dit à celui qui avait tort : « Pourquoi frappes-tu ton prochain ? » (v.13). Le texte montre clairement que les termes ‘frère’ et ‘prochain’ sont synonymes. L’Egyptien n’est pas considéré comme ‘prochain’ (ce qui ne signifie pas que Moïse a eu raison de le tuer ! Cf. Ga 6.10).

Dans la Bible, les mots prochain, frères, saints, désignent les mêmes personnes, toujours en rapport avec l’appartenance au peuple de Dieu. La loi confirme ces dispositions : « Aucun créancier ne pressera son prochain, son frère. Tu te relâcheras de ton droit pour ce qui est de ton frère. Il n’y aura aucun indigent chez toi » [2]. Retenons que  tous ceux qui étaient comptés comme appartenant au peuple de Dieu en partageaient les privilèges et les devoirs, y compris les étrangers assimilés. Tous, mais seulement eux. La transposition, aujourd’hui, s’applique à l’Eglise, pas à la nation.

Ce que Jésus est en train de dévoiler, c’est que dans la perspective du Royaume de Dieu, cette appartenance ne peut plus se définir en fonction de l’Israël selon la chair : c’est la foi qui en sera le signe de reconnaissance, comme cela est développé par Paul : « Reconnaissez que ce sont ceux qui ont la foi qui sont fils d’Abraham. Ainsi, l’Ecriture prévoyant que Dieu justifierait les païens par la foi, a d’avance annoncé cette bonne nouvelle à Abraham : Toutes les nations de la terre seront bénies en toi ! De telle sorte que ceux qui croient sont bénis avec Abraham le croyant » (Ga 3.6 à 9).

Ainsi, aujourd’hui, le frère, le prochain, ce n’est ni le Juif ni l’ensemble des hommes, indistinctement : c’est celui ou celle qui croit, quelle que soit son origine ou son apparence, dès lors que sa foi est révélée par le fruit de ses lèvres ou par les œuvres de la foi, comme c’est le cas du Samaritain de la parabole de Luc 10 ou pour le centenier d’Actes 10. Il y a donc un discernement à exercer, une intelligence spirituelle à développer. Le fait que Dieu seul connaisse les cœurs nous incline tout à la fois à la prudence et à l’ouverture (Mc 10.42).

Beaucoup de passages du Nouveau Testament confirment ce sens du mot prochain (Ro 14.21 ; 15.2, 7 ; Jc 2.14-16 ; 4.11-12…). « C’est pourquoi, que chacun de vous parle selon la vérité à son prochain, écrit Paul, car nous sommes membres les uns des autres » (Ep 4.25). L’expression ‘les uns les autres’ concerne toujours la communauté des disciples. Appliquer cela à l’ensemble des hommes relève d’une utopie, ce que l’Evangile n’est pas. « Ne devez rien à personne, si ce n’est de vous aimer les uns les autres. Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Ro 13.8-10 Cf. Ga 5.13-15, 26).

L’apôtre Jean formule ce même commandement avec d’autres termes qui enlèvent toute ambiguïté : « Si quelqu’un dit : J’aime Dieu, et qu’il haïsse son frère, c’est un menteur ; car celui qui n’aime pas son frère qu’il voit, comment peut-il aimer Dieu qu’il ne voit pas ? Nous avons de lui ce commandement : Que celui qui aime Dieu aime aussi son frère » (1 Jn 4.20-21). Ce dernier commandement exprime à lui seul le sommaire de la Loi… et répond à la question de l’interlocuteur de Jésus.

 

 

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Notes et références

[1] Comparer Mt 10.5-6 avec Ac 10.45 ; 11.1,18 ; Ro 9.24 ; 11.11 ; Co 1.25-27.

[2] Dt 15.2-3 ; 23.19, 24 ; 24.10. Lév 19 ;  Jr 23.35 ; 31.34 ; 34.9-17. Cf. Actes 4.34. Sur l’étranger, voir 1 Rois 8.41-43

 

 

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Charles Nicolas est pasteur des Églises réformées évangéliques. Il est actuellement aumônier hospitalier à Alès (Gard) et enseignant itinérant. Il écrit habituellement sur son site, "Le blog de Charles Nicolas" ainsi que sur Evangile 21