Et si l’Islam avait des racines… chrétiennes ?
La question des origines de l’Islam est particulièrement controversée. On invoque souvent l’entourage chrétien de Mohammed, ou certains échos d’écrits chrétiens dans le Coran. Mais ces éléments sont-ils fondés ? Philip Jenkins, dans son livre The Lost History of Christianity (L’histoire oubliée du Christianisme), offre un survol synthétique des différents éléments dont nous disposons à ce jour.
L’histoire de Mohammed et du moine chrétien
(p.185) : « Au VIIIème siècle, Jean Damascène voyait l’Islam non comme une nouvelle religion mais comme une hérésie chrétienne : la secte des Ismaélites ou celle des Agarènes.
Voici ce qu’il rapporte :
Depuis ce temps et jusqu’à présent, un faux prophète nommé Mohammed est apparu en leur sein. Après avoir pris par hasard connaissance de l’Ancien et du Nouveau Testament, et vraisemblablement conversé avec un moine arien, il fonda sa propre hérésie. (2)
Cette histoire du moine allait souvent refaire surface, sous différentes formes. Elle dispose également de parallèles dans le monde musulman. L’un des premiers biographes de Mohammed, Ibn Ishaq, rapporte que le prophète, étant enfant, visita Bostra en Syrie. Là, le moine chrétien Bahira reconnut son génie et s’évertua à le protéger. D’après Ibn Ishaq, Bahira fut capable de confirmer le rôle prophétique de Mohammed à partir des copies de l’authentique évangile chrétien qu’il possédait, celles qui n’avaient pas encore été polluées par l’Eglise. En mentionnant l’histoire du moine arien, il est possible que Jean Damascène transforme une tradition musulmane préexistante en une légende anti-Islam.
Au IXème siècle, ce mystérieux moine fut renommé Sergius. La figure de Sergius réapparut à de nombreuses reprises dans certaines polémiques chrétiennes tendant à présenter Mohammed comme un plagiaire, une personne ayant corrompue l’ancienne religion plutôt que l’inventeur d’une nouvelle.
Tout au long du Moyen-Age, les chrétiens eurent tendance à voir Mohammed comme un schismatique plutôt que comme le leader d’une confession différente.“ (3) […] »
Jenkins rapporte un peu plus loin une autre tradition islamique :
(p.189) : “En faisant référence à une vieille connaissance de Mohammed, Ibn Ishaq rapporte cette citation : celui qui enseigne à Mohammed la plupart des choses qu’il apporte est Jabr le chrétien“. (4)
Il est possible que ce Jabr soit un chrétien d’Ethiopie. Ces éléments sont loin d’être définitifs. Le moins que l’on puisse dire est que, de l’aveux même des biographes autorisés du prophète, l’entourage de Mohammed comportait des chrétiens.
Le Coran et la critique des sources : des influences “chrétiennes“ et gnostiques
Pour Jenkins, le contenu même du Coran offre des indices bien plus concluants :
(p.186) : “Les musulmans considèrent que le Coran est la parole directement inspirée de Dieu, transcrite (et non composée) par le Prophète Mohammed autour de l’an 610.
Mais pour les spécialistes qui n’acceptent pas cette interprétation et qui tentent de retracer l’origine de ce texte, le Coran semble s’être développé sur la base de sources chrétiennes et juives, et il est souvent difficile de séparer les deux influences. […]
Les sources externes les plus probantes semblent provenir de certaines formes de christianisme oriental.
La plupart des histoires coraniques sur Marie et Jésus trouvent leurs parallèles non dans les Evangiles canoniques, mais dans certains textes apocryphes qui circulaient abondamment en orient, comme le Protévangile de Jacques ou l’Evangile arabe de l’Enfance. […]
Le Coran cite le miracle dans lequel l’enfant Jésus a façonné un oiseau d’argile et lui a insufflé la vie, un conte que l’on retrouve dans l’Evangile de l’Enfance de Thomas.
Egalement, le Coran présente la mort de Jésus en utilisant exactement le même langage que la secte chrétienne hérétique des Docètes, qui voyaient dans cet événement une illusion plutôt qu’une réalité concrète : “Ils ne l’ont pas tué et ils ne l’ont pas crucifié : c’était un faux semblant“. […]
Ces connexions sont si évidentes que plusieurs spécialistes ont soulevé la question du lieu de rédaction du Coran : aurait-il été rédigé en Arabie, ou plutôt collecté et composé dans un endroit comportant des communautés chrétiennes et juives importantes, comme en Syrie ou en Mésopotamie ?
A titre d’exemple, dans un travail de recherche extrêmement controversé, le spécialiste allemand C. Luxenberg suggère que le Coran serait une traduction confuse d’anciens textes chrétiens rédigés initialement en Syriaque, à l’époque la lingua franca du Moyen-Orient. […]
Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute que les chrétiens d’orient constituaient une présence bien connue dans le monde arabe, et qu’ils ont influencé les développement primitifs de l’Islam.“ (5)
Autres éléments présentés par Jenkins
Parmi les autres éléments proposés par Jenkins, la mention du mouvement Alaouite est particulièrement intéressante.
Les adeptes de cette branche du Chiisme, qui représentait 11% de la population Syrienne avant la guerre civile, accordent une place spéciale à la personne de Christ, célèbrent certaines fêtes chrétiennes, et ont conservés différents éléments chrétiens dans leur liturgie. Jenkins note également qu’ils retiennent de nombreuses idées issues du gnosticisme. (6)
Il invoque aussi l’architecture originale des Mosquées musulmanes, copiant celles des église byzantines (7), ou encore la position agenouillée pour la prière des chrétiens d’orient. Paradoxalement, cette attitude, vue par les premiers musulmans comme particulièrement excentrique, a fini par trouver leur assentiment.
Que penser de ces arguments ?
La citation de Jean Damascène est bien évidemment à replacer dans son contexte historique polémique. Néanmoins, elle offre un bon aperçu de ce que les chrétiens contemporains aux premiers développements de l’Islam pensaient de cette “nouvelle religion“.
Pour eux, l’Islam représentait l’une de ces émanations schismatiques qui se multipliaient un peu partout dans le Moyen-Orient des VIIème – VIIIème siècles
L’influence des récits gnostiques sur le Coran, quant à elle, n’est plus à démontrer, en particulier quand le thème de l’enfance de Jésus est abordé. Dans quelle mesure la théologie de Mohammed a t-elle été influencée par ces textes ? Difficile de le déterminer avec certitude.
Au final, les éléments présentés par Jenkins démontrent une influence certaine du christianisme sur l’Islam, mais il ne sauraient prouver la relation plus étroite que certains invoquent.
Les débats restent ouverts, et il est tout à fait possible que des découvertes futures soient versées comme nouvelles pièces au dossier.
Dans l’attente, il ne me parait pas opportun, à titre personnel, d’utiliser à des fins apologétiques l’argument de l’influence chrétienne sur l’Islam.
Notes et références :
(1) Jenkins, Philip. The lost history of Christianity : the thousand-year golden age of the church in the Middle East, Africa, and Asia- and how it died. New York, HarperOne, 2008.
(2) John of Damascus. Writings, vol. 37 of The Fathers of the Church. Washington, DC: Catholic Univ of America Press, 1958, p. 153-160. La citation peut être lue en Français dans son contexte ici.
(3) Jenkins, 185.
(4) Ibid, 189.
(5) Ibid, 186.
(6) Ibid, 192.
(7) Ibid, 195.
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