Zachée : ordure repentante ou juste incompris ?

Une histoire connue…

La rencontre de Jésus avec Zachée est une histoire bien connue, l’une des histoires que l’on raconte volontiers dans les écoles du dimanche. Dans la compréhension traditionnelle, Zachée est un collecteur d’impôt mal aimé et malhonnête. De manière surprenante, Jésus le remarque et s’invite à manger chez lui, ce qui cause le mécontentement de la foule. Zachée, touché par la présence de Jésus, annonce qu’il donne la moitié de ses biens aux pauvres et qu’il rend au quadruple à ceux à qui il a fait du tort, manifestant par là un changement de comportement et sa repentance. Jésus prendrait acte de sa repentance en déclarant que le salut est entré en ce jour dans la maison de Zachée.

Zachée, un innocent?

Cependant, certains remettent cette interprétation traditionnelle en cause. Il est en effet bon de se demander si la manière dont on a toujours compris le texte est bien la bonne, ou si elle repose sur un préjugé et une mauvaise habitude de lecture. L’interprétation alternative repose en particulier sur le fait que la déclaration de Zachée est au présent :

« Voici, Seigneur : Je donne aux pauvres la moitié de mes biens, et si j’ai fait tort de quelque chose à quelqu’un, je lui rends le quadruple. » (Luc 19.8).

Zachée énoncerait non pas une nouvelle résolution, mais son comportement habituel. Le propos de l’histoire ne serait pas que Zachée change un comportement coupable, mais qu’il était la victime des préjugés contre les membres de sa profession. On verrait alors Jésus réhabiliter Zachée, en le déclarant lui aussi enfant d’Abraham. D’autres reconnaîtront que Zachée avait besoin de salut, comme tout homme, mais pensent que son comportement en matière d’argent était déjà tout à fait correct.

Une lecture tentante

Cette lecture est très attrayante pour nous aujourd’hui. Nous sommes sensibles aux préjugés, nous nous méfions des idées préconçues. Il y a une sorte de jubilation lorsque ceux qui se posent en modèle de vertu s’avèrent être des hypocrites ou des magouilleurs, ou à l’inverse lorsque les exclus et les méprisés se révèlent être admirables. De plus, on se méfie de tous les jugements moraux sur les « bons » et les « mauvais », et on se réjouit de les voir subvertis.

Frédéric Godet

Frédéric Godet

En recherchant rapidement sur cette question1, j’ai vu que la « nouvelle » interprétation était déjà proposée par Frédéric Godet, un interprète évangélique du Nouveau Testament au 19e siècle, dont les ouvrages continuent d’être utilisés dans le monde évangélique, ce qui m’a expliqué comment cette idée se trouvait en circulation courant de nos jours.

Venons en à la question centrale : faut-il admettre et retenir cette interprétation qui innocente Zachée ?

Une évaluation

Sur le point central, les deux verbes au temps présent au verset 8, je crois que l’argument est mal inspiré. Il suppose que le présent est utilisé pour décrire un état de fait constant ou répété. Mais ce n’est pas la seule manière d’employer le présent. Je crois qu’il s’agit d’un présent performatif, c’est-à-dire que ce qui est dit devient une réalité du fait qu’il est dit. C’est ce qui se passe notamment face au maire ou à l’officier d’état civil : lorsqu’il dit « je vous déclare mari et femme », il n’était pas en train de décrire son habitude de marier des gens, mais il établi un nouvel état de fait.

Un autre exemple, plus proche de l’histoire de Zachée : un père dit à son fils : « Tu vois cette voiture ? Je te la donne. »; là encore, cette parole produit la réalité qu’elle énonce. C’est donc ceci qui se passe avec Zachée : sa résolution est tellement ferme qu’il l’annonce comme réalisé, plutôt que de dire un vague « je vais donner… ».

Il y a plusieurs autres raisons de préférer cette lecture, où Zachée annonce un réel changement de comportement. D’une part, il annonce donner la moitié de ses biens aux pauvres, et il s’agit bien de ce qu’il possède, non de son revenu. Or il est impossible de donner continuellement la moitié de ses biens ; on peut à la rigueur faire cela périodiquement, chaque semaine ou chaque année, mais on ne reste pas riche longtemps en faisant cela, et surtout ce n’est pas ce que Zachée dit. Par contre, un Zachée repentant peut tout à fait donner la moitié de son patrimoine à l’instant de son changement de vie.

D’autre part, si son propos représente son habitude, l’idée du remboursement ne peut concerner que des torts faits accidentellement. Or le terme employé par Zachée désigne plus précisément le fait d’extorquer de l’argent (comme le rend la Nouvelle Bible Segond), et n’est donc pas approprié pour désigner un tort involontaire. Zachée s’engage donc à rendre au quadruple tout ce qu’il extorqué indûment dans le passé.

Perdu et retrouvé

De plus, le passage se termine par la déclaration de Jésus : « Aujourd’hui le salut est venu pour cette maison, parce que celui-ci est aussi un fils d’Abraham. Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » (Luc 19.9-10).

Or en Luc 15, Jésus donne les paraboles de la brebis perdue, de la drachme perdue, et du fils prodigue. Jésus y met directement en rapport le fait d’être perdu et retrouvé avec le fait d’être pécheur et repentant – et jamais avec le fait de rendre sa dignité à un homme objet de calomnie ou de préjugé. Plus encore, à deux autres reprises dans l’évangile de Luc Jésus fait l’objet de reproches parce qu’il fréquente des pécheurs, dont des collecteurs d’impôts : en Luc 5.27-32 et Luc 15.1-2. Dans ces cas, Jésus répond en affirmant qu’il est venu pour de telles personnes, et que ce sont eux qui ont besoin de lui :

« Jésus prit la parole et leur dit : Ce ne sont pas ceux qui sont en bonne santé qui ont besoin de médecin, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs à la repentance. » (Luc 5.31-32)

L’interprétation qui innocente la conduite passée de Zachée est donc tout à fait en porte-à-faux avec le reste de l’évangile et avec la manière dont Jésus considère son ministère auprès des collecteurs d’impôts et des pécheurs. Si Zachée était vraiment déjà juste, il ferait partie de ces gens qui n’ont pas besoin de Jésus et qu’il n’est pas venu appeler à la repentance.

Un peu de recul

En évaluant la question d’interprétation à la lumière du texte et de l’évangile de Luc en général, il faut donc rejeter l’interprétation alternative que j’évoquais. Prenons un peu de recul pour évoquer maintenant en quoi elle est problématique. Au niveau de la méthode, elle se trompe par une vision trop mécanique de ce que signifie l’emploi d’un temps ou d’un autre ; dans le vrai emploi d’une langue, il y a une fluidité, et le contexte dit guide la manière de comprendre. En outre, elle néglige la vue d’ensemble de l’évangile et de son message.

Mais elle pose aussi des problèmes théologiques. D’une part, elle fait de Zachée un homme qui étalerait sa bonne conduite devant Jésus pour se justifier, soit l’attitude néfaste … du pharisien dans la parabole du pharisien et du collecteur d’impôts (Luc 18.9-14) ! D’autre part, elle change le point focal de l’histoire : le problème central n’est plus celui d’un cœur qui a besoin d’être transformé par Jésus, mais celui de la mauvaise réputation et du statut social. À nouveau, quelle cohérence avec un Jésus qui déclare « Malheur lorsque tous les hommes parleront bien de vous, car c’est ainsi que leurs pères agissaient à l’égard des faux prophètes ! » (Luc 6.26) ?

Continuons donc à reconnaître nos fautes, à nous repentir et à réparer les torts que nous avons commis, comme le fait Zachée !

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1J’ai principalement consulté Hamm, Dennis. « Luke 19:8 Once Again: Does Zacchaeus Defend or Resolve? » Journal of Biblical Literature 107, no. 3 (1988): 431-37, qui présente bien les principaux arguments en plus de détail que je ne peux le faire ici.

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