Faut-il utiliser la littérature extra-biblique? Une critique de John Piper
J’aime John Piper. Il a eu une influence déterminante dans ma vie. Dans des moments difficiles, lors desquels je n’avais pas accès à de bonnes ressources ou à des prédications textuelles, son site (desiringgod.org) m’a été d’une grande aide.
Ces dernières années, j’ai toutefois pris conscience de mes divergences avec lui, par exemple sur la question des dons spirituels, mais aussi sur la place de la loi, ou sur la relation que les alliances bibliques entretiennent entre elles.
Plus récemment, j’ai réalisé que certaines de ces divergences sont peut-être plus fondamentales, et portent davantage sur de la méthodologie que sur tel ou tel point précis. En matière d’herméneutique, notamment, il me semble que nous n’usons pas toujours des mêmes présupposés, et par conséquent nos approches divergent.
En voici un exemple : dans sa critique bien connue de l’approche de N.T. Wright sur la théologie de Paul, Piper reproche à ce dernier son recours extensif aux sources extra-bibliques. Piper met en garde que “les idées du premier siècle peuvent être utilisées [par inadvertance] pour tordre ou réduire au silence ce que les auteurs du Nouveau Testament avaient l’intention de communiquer”.[1]
Selon Piper, ces distorsions exégétiques peuvent apparaître de trois manières :
(1) Par une mauvaise compréhension de ces sources,
(2) En partant du principe que le NT est d’accord avec ces sources alors que ce n’est pas le cas,
(3) En effectuant une mauvaise application de ces sources. [2]
Il conclut :
Il sera salutaire, par conséquent, pour les spécialistes comme pour les pasteurs et les membres d’églises qui ne passent pas la majeure partie de leur temps à lire la littérature [extra-biblique] du 1er siècle de faire modestement preuve de scepticisme lorsqu’un concept dominant ou une vision du monde issue du 1er siècle est utilisée pour donner une interprétation ‘nouvelle’ ou ‘fraîche’ de textes bibliques qui, dans leur propre contexte, ne donnent pas naturellement naissance à de telles interprétations.
Notons tout d’abord que personne ne rejette les préoccupations de Piper. L’un des principaux défenseurs de la “Nouvelle perspective sur Paul”, E.P. Sanders, se fait lui-même l’écho de préoccupations similaires.[3]
Les dangers sont réels et doivent être estimés à leur juste valeur.
Néanmoins la réponse à apporter à ces problèmes n’est pas un rejet pur et simple, ni même le scepticisme modeste préconisé par Piper, mais une approche consciente et responsable de ces textes.
En voulant mettre l’emphase sur le “contexte naturel” qui apparaitrait presque immédiatement au lecteur de la Bible, Piper ne semble pas prendre en compte le fait que chaque lecteur est lui-même le produit de son environnement, des influences qui ont modelé sa pensée, etc. En d’autres termes, tout outil qui permet d’affuter la sensibilité contextuelle du lecteur est le bienvenu, l’inverse reviendrait à l’enfermer dans des schémas herméneutiques préétablis qui, avec le temps s’avèrent parfois erronés.
Piper a raison de mettre en garde contre la tendance à imposer de manière illégitime un sens externe sur les textes bibliques. Mais il ne prend pas en considération que toutes les études comparatives s’intéressent autant, voire même davantage, aux différences théologiques qui existent entre les textes, et qu’elles ne se limitent pas à établir des traits de similarité.
Je n’adhère pas à la “Nouvelle perspective sur Paul”. Je reste profondément ancré dans l’héritage réformé de la justification “légale” par la foi. Néanmoins, j’estime que John Piper fait preuve ici d’une sorte de sur-réaction qui est peu bénéfique aux études bibliques en général (je pense d’ailleurs que les défenseurs de la “théologie de la nouvelle alliance” tombent dans le même travers).
J’ai conscience que mon article peut surprendre, en particulier parce que certains de nos lecteurs apprécient tout particulièrement Piper (voire lui vouent une admiration sans borne !). Néanmoins, notez que je suis loin d’être le seul à interroger cet aspect de sa méthodologie. Don Carson lui-même exprime son désaccord avec son ami, dans une vidéo diffusée en 2011 par la Gospel Coalition.
Au final, pour interpréter correctement les épîtres de Paul, nous ne pouvons pas ignorer la littérature juive du Second Temple, mais nous devons interagir avec elle de manière fréquente, précise, et avec la volonté d’accepter les continuités théologiques comme les discontinuités.
Notes et références
[1] John Piper, The Future of Justfication: A Response to N.T. Wright (Wheaton, Il. : Crossway, 2007), 33-34.
[2] Idem, 34-36.
[3] “Parallels are often illuminating, as long as one does not jump from ‘parallel’ to ‘influence’ to ‘identity of thought’.” E.P Sanders, Paul and Palestinian Judaism: A comparison of Patterns of Religion (Philadelphia: Fortress Press, 1977), 11.