R.C. Sproul sur la différence entre principe et coutume
Nous avons publié hier un épisode de Que dit la Bible dans lequel nous abordions la question du voile chrétien. Cet article lui fait suite. Dans une excellente série de cours sur l’herméneutique baptisée “Connaître l’Ecriture” (1), le Dr. R.C. Sproul (2) consacre une session complète à la différence biblique entre principes et coutumes dans le Nouveau-Testament.(3)
Au cours de son exposition, Sproul prend justement l’exemple de 1 Corinthiens 11:2-6 et définit une approche permettant de faire la distinction entre un principe biblique intemporel, et une simple coutume limitée à une application locale et temporelle.(4)
Il en dégage les 4 étapes ci-dessous.
1- Examinez ce que la Bible elle-même définit comme relevant du principe ou de la coutume
Pour Sproul, il est intéressant de noter que les Ecritures permettent une grande latitude dans les usages et les coutumes, mais qu’elle sont toujours très claires dans la transmission des principes divins :
“En regardant les lois de l’Ancien-Testament qui sont ré-exprimés dans le Nouveau-Testament, nous observons certains principes communs qui transcendent les coutumes, la culture, et les conventions sociales. […] Ce dont nous devons prendre note avec vigilance, c’est que ni l’idée d’importer l’ensemble des éléments de l’Ancien-Testament dans le Nouveau, ni l’idée de n’en importer aucun ne peuvent se justifier par la Bible elle-même.”
Afin d’illustrer son propos, R.C. Sproul donne trois exemples de “fluidités culturelles” :
- Le langage : les principes bibliques demeurent, mais les langues dans lesquels ils sont exprimés changent.
- Le style vestimentaire : la Bible donne un principe intemporel de décence, mais aucune règle de longueur de jupe ou de nombre de boutons ouverts à la chemise. Le principe de décence transcende ainsi la coutume vestimentaire de telle ou telle culture. (5)
- Les systèmes monétaires, qui sont eux aussi sujets à variations. Les chrétiens ne sont pas appelés à utiliser des deniers à la place de l’euro, mais ils devront faire sagement usage de leur argent, en adoptant certains principes de priorité.
Il termine en reconnaissant que cette étape ne se suffit pas à elle même, car si une telle analyse peut être simple en ce qui concerne les vêtements ou la monnaie, d’autres questions sont bien plus difficiles à traiter.
2-Acceptez qu’il puisse exister des particularités chrétiennes au premier siècle ap. JC
C’est une chose de chercher à avoir une meilleure compréhension du message biblique, en fouillant dans les informations dont nous disposons sur la situation culturelle du premier siècle ; c’en est une autre d’interpréter le Nouveau-Testament comme s’il n’était qu’un simple écho de ce contexte culturel :
“Agir ainsi serait ne pas prendre en considération le conflit sérieux que l’église a expérimenté lorsqu’elle a été confrontée au monde du premier siècle. Les chrétiens n’étaient pas jetés aux lions pour leur penchant à la conformité…”
Sproul rentre dans le vif du sujet lorsqu’il aborde la fameuse position des prostituées corinthiennes, dont le signe distinctif serait d’avoir la tête découverte. Selon cette approche, Paul demanderait en 1 Cor. 11 aux chrétiennes de Corinthe de se voiler afin d’éviter d’avoir l’apparence de prostituées. Cette approche considère donc clairement l’injonction de Paul comme une simple coutume.(6)
Voici ses conclusions :
“Qu’y a t-il de faux avec ce genre de spéculation ? Le problème de base est que notre reconstruction du premier siècle, d’après nos connaissances, nous conduit à prêter à Paul un raisonnement étranger à celui qu’il fournit lui-même. En d’autres termes, nous ne sommes pas seulement en train de mettre des mots dans la bouche de l’apôtre, mais nous sommes également en train d’ignorer les mots mêmes qui sont présents dans le texte.
Si Paul avait simplement dit aux chrétiennes de Corinthe de se couvrir la tête, sans donner la moindre raison pour une telle instruction, alors nous aurions pu être fortement inclinés à l’interpréter au travers de notre connaissance de la culture du premier siècle. Cependant, dans ce cas précis, Paul fournit un raisonnement basé sur un appel à l’ordre créationnel, et non sur la coutume des prostituées.
Nous devons prendre garde à ne pas laisser notre zèle pour la connaissance de la culture obscurcir ce qui est réellement dit.”
3- Prenez garde aux ordonnances créationnelles
De telles ordonnances indiquent en effet que vous êtes très probablement en face d’un principe transculturel, intemporel :
“Les appels à des ordonnances prenant racine dans la création reflètent les dispositions d’une alliance que Dieu a fait avec l’humanité toute entière.
[…]
Les lois de la création ne sont pas données à un hébreu, à un chrétien, ou à un corinthien, mais elles trouvent leur source dans la responsabilité élémentaire de l’homme envers Dieu.
Mettre de côté les principes créationnels et les considérer comme de simples coutumes locales est la pire manière de relativiser ou de déshistoriciser le texte Biblique.”
Pour Sproul, lorsque le Christ ou les auteurs inspirés du Nouveau-Testament invoquent l’argument créationnel, ils s’attendent simplement et logiquement à ce que leurs commandements ne souffrent aucune contestation, et qu’ils soient considérés comme des principes divins intemporels (cf. 1 Corinthiens 11:16). En d’autres termes, partout où vous rencontrez une justification créationnelle, dans les Ecritures, vous pouvez suspecter que c’est un principe, et non une coutume, qui est en jeu.
4- Appliquez le “principe d’humilité”
C’est un principe cher à Sproul. Manié avec précaution, il peut se révéler utile. Le voici :
“Que faire, si après une étude attentive de telle ou telle injonction Biblique, nous demeurons incertains quant à son caractère : principe ou coutume ? […] C’est ici que le principe d’humilité peut être utile.”
Pour Sproul, “la problématique est simple :
- Est-il meilleur de traiter ce qui pourrait être une coutume comme un principe, et risquer alors d’être plus scrupuleux que nous n’aurions dû l’être dans notre désir d’obéir à Dieu ?
- Ou bien est-il meilleur de traiter ce qui pourrait bien être un principe comme une simple coutume, et être par conséquent coupable d’avoir été peu scrupuleux en rabaissant une exigence transcendante de Dieu au niveau d’une simple convention humaine ?
J’espère que pour vous, la réponse est évidente.”
Attention toutefois :
“Si le principe d’humilité est isolé des autres lignes directrices mentionnées plus haut, il peut aisément être mal interprété et être considéré comme une base pour le légalisme. Nous n’avons pas le droit de régir la conscience des chrétiens là où Dieu les a laissés libres. Le principe d’humilité n’est pas applicable là où l’Ecriture est silencieuse.
Ce principe s’applique là où nous avons un commandement biblique dont la nature est incertaine (comme c’est le cas pour la différence entre coutume et principe), et après que toutes les pistes d’un travail exégétique difficile aient été épuisées. […]
Il s’agit d’une ligne directrice à utiliser en dernier recours. Elle serait destructrice si elle était utilisée en premier lieu.”
Conclusion
Il serait intéressant, pour conclure cet article, de savoir ce que R.C. Sproul pense de l’actualité de 1 Corinthiens 11:2-16 : les chrétiennes doivent-elles matériellement se couvrir la tête aujourd’hui, selon l’injonction de Paul ?
Fort de son approche en 4 étapes pour distinguer les principes bibliques intemporels de simples coutumes locales, R.C. Sproul répond positivement.(7)
Notes et références :
(1) En anglais “Knowing Scripture“, cours payants disponibles ici. (retour)
(2) Robert Charles Sproul est le fondateur et le président de Ligonier Ministries. (retour)
(3) Nous attirons en particulier votre attention sur ce cours, “Principle vs. Custom”. (retour)
(4) « Les principes sont ces commandements de Dieu qui s’appliquent à toutes les personnes, en tout temps, dans chaque culture. Les coutumes sont des applications locales, sujettes à variation, des principes.” – R.C. Sproul, “To Cover or Not to Cover”. Un extrait de ce cours est gratuitement disponible en video en cliquant sur ce lien. (retour)
(5) Cette formulation est juste. Toutefois, il convient d’être prudent dans la manière de la communiquer, et surtout dans la manière de l’appliquer. (retour)
(6) Voir le 6ème article de cette série : “Une affaire de prostituées ?“ (retour)
(7) Par exemple dans une cassette (et oui, cela existe encore !!) éditée par Ligonier Ministries : Tape #675, “Hard Sayings of the Apostles (Side B: “To Cover or Not to Cover?“) mais aussi dans le son magazine mensuel, Coram Deo (!), de juin 1996. Les principales citations de Sproul font l’objet d’un paragraphe complet dans l’article de Robert Spinney pour Monergism.com sur l’exégèse de 1 Corinthiens 11:1-16 (article en anglais disponible gratuitement ici) (retour)