Pierre Martyr Vermigli : le théologien oublié de la Réforme

Pietro Martyr Vermigli (ou Pierre Martyr), quoi que peu connu aujourd’hui,[1] est l’un des théologiens les plus importants de la réforme, si important que Calvin lui-même a dit, dans une lettre aux pasteurs de Zurich, que la présence de Vermigli était convoitée par beaucoup de théologiens et de pasteurs de la réforme.[2]

Certains se demandent d’ailleurs si l’on devrait l’inclure dans un survol de l’histoire de l’apologétique. Mais au moins un théologien de référence, Jean Calvin, l’aura reconnu comme un apologète important, défendant avec passion et précision les vérités de la Réforme.[3] En fait, Vermigli était, et de loin, davantage éduqué que Calvin,[4] un fait que ce dernier reconnaissait lui-même en exprimant beaucoup de respect pour ses travaux.

Vermigli est né à Florence en 1499,[5] Il a fait ses études à l’Université de Padoue où il a obtenu son doctorat en théologie en 1526, à l’âge de 27 ans. Il a principalement été formé à la théologie thomiste ainsi qu’à la philosophie d’Aristote.[6]

 

Donnelly note que Vermigli a appris seul le grec, dans le but d’être capable d’étudier par lui-même les œuvres d’Aristote. Celles-ci d’Aristote faisaient partie de la collection de livres qu’il avait apportée avec lui quand il avait quitté l’Italie pour échapper à la persécution.[7]

Mais ce n’est pas tout, il a aussi appris l’Hébreu au début des années 1530 (grâce à un l’aide d’un érudit Juif) devenant ainsi l’un des experts hébraïsant et l’un des spécialistes majeur de l’Ancien Testament du XVIème siècle en Europe.[8]

Durant sa vie, il n’a cessé d’écrire et d’enseigner sur la philosophie aristotélico-thomiste, la théologie réformée-thomiste, et sur les Ecritures (ses commentaires étaient hautement convoités par Calvin). Ses influences principales sont, bien sur, les Saintes Ecritures,[9] mais également Aristote,[10] Thomas d’Aquin,[11] et d’autres auteurs tels que Pierre Lombard,[12] Cicéron,[13] Bucer,[14] Zwingli,[15] et Augustin.[16]

 

Vermigli et Calvin entretenaient une relation particulière. Vermigli était une ressource importante pour aider Calvin dans la formulation et la défense de ses doctrines. Bien que Vermigli ait eu une grande influence sur l’articulation de la théologie de Calvin, Donnelly explique que ce n’était pas réciproque : Calvin n’avait quasiment aucune influence sur la théologie de Vermigli.[17]

Quant à l’importance de la place d’Aristote dans la théologie de Vermigli, et dans la formation des pasteurs de la réforme, John Patrick Donnelly donne un exemple des sujets enseignés par Vermigli aux futurs pasteurs en citant une lettre de l’un de ses étudiants à Oxford.

L’étudiant explique le déroulement d’une journée type d’étude :[18]

6h – 7h : lecture de l’œuvre d’Aristote, Les physiques
7h – 8h : lecture de Galène
8h – 9h : lecture des œuvres morales d’Aristote
9h -10h : enseignement sur l’épître de Paul aux Romains
10h -12h : lecture de Galène.

 

Après le dîner ils discutaient soit de moralité, soit de philosophie naturelle. Donnelly explique qu’à Strasbourg, Vermigli et Girolamo Zanchi enseignaient, tour à tour, Aristote et la théologie.[19]

 

Outre une multitude de pasteurs réformés, on compte Emmanuel Tremelli[20] ainsi que le docteur Girolamo Zanchi[21] parmi ceux influencés par Vermigli. Jean Calvin, comme nous l’indiquions, fut lui aussi largement au bénéfice de cette influence, et il consultait Vermigli avant même de publier ses traités. John McLelland rappelle que Vermigli a eu une grande influence sur ce qui allait devenir le Puritanisme.[22] Vermigli a écrit des commentaires bibliques (sur la Genèse, les Lamentations, etc.), mais aussi sur des livres d’Aristote (tel que L’Éthique de Nicomaque), ou encore des ouvrages théologiques.

Vermigli était réputé pour son érudition, recherchant toujours la précision dans ses écrits,[23] et ayant un tempérament conciliant (ce qui ne l’empêchait pas de prendre position et de les défendre avec passion).[24] Il s’est converti jeune au mouvement protestant lorsqu’il était à Naples, et « il prêché, avec succès, l’évangile à Naples, Lucca, et Florence. »[25]

Il a volontairement quitté l’Italie en 1542 afin de se rendre à Strasbourg (accueilli par Bucer comme professeur à l’Académie de Strasbourg).[26] Il fut finalement banni du continent en raison de ses croyances protestantes et Calvinistes.[27]

 

En Angleterre, il est finalement accueilli par un certain Edward Seymour.[28] Là, Vermigli occupe la chaire de professeur de religion à l’Université de Cambridge.[29] Quelques années plus tard, il retourne à Strasbourg (en 1553) pour reprendre son ancienne position de professeur de théologie.[30] Mais il dut, en raison de conflits avec les Luthériens, partir à nouveau en 1556 pour enseigner, cette fois-ci, à l’Académie de Zurich (où il sera provoqué en « duel » par un de ses collèges, Theodore Bibliander, professeur de théologie luthérienne, autour de la question de la prédestination.)[31]

Vermigli reste à Zurich jusqu’à sa mort en 1562.[32] Avant de quitter Strasbourg pour aller à Zurich, Vermigli était demandé par l’église réformée italienne à Genève.[33] Calvin tenait vraiment à ce que Vermigli le rejoigne là-bas et cherchait donc à le convaincre, tout en soulignant dans sa lettre qu’il ne devait pas se sentir obligé de se déplacer s’il était convaincu que Dieu voulait qu’il reste à Strasbourg.[34]

Le docteur n’alla donc pas à Genève, mais il partit l’année suivante à Zurich. Il succéda à Conrad Pellican à l’Académie de Zurich.[35] En 1557, Calvin insiste encore une fois (de la part de l’église italienne à Genève) auprès de Vermigli afin que ce dernier les rejoigne, allant même jusqu’à écrire aux pasteurs de Zurich pour leur demander de l’envoyer.[36]

 

Vermigli était considéré par Calvin comme un homme juste, sage, pieux,[37] digne de confiance (parce que fidèle aux écritures et à leurs véritables doctrines),[38] et ayant un grand savoir.[39]

Dans l’une de ses premières lettres à Vermigli (si ce n’est la première)[40] Calvin y exprime son respect pour son travail en théologie et en exégèse biblique,[41] lui recommandant qu’ils soient publiés afin qu’on soit en mesure de « mettre la main sur les écrits sérieux, érudits, et solides, des hommes pieux et orthodoxes, à la fois dans le but d’affirmer la pureté de la doctrine, et de transmettre entièrement et sans faute cette doctrine à notre postérité, et de réfuter la stupide légèreté de ceux qui se mêlent de tout. »[42]

Plus tard, lorsqu’il était à Zurich (après 1556), Calvin lui écrit ceci :

Je vois, aussi longtemps que vous êtes dans votre position présente, à quel point l’utilité de vos efforts s’étend, et à quel point il est important qu’une école distinguée fasse ressortir des ministères de la parole, ayant reçu un bonne éducation, combien de places ont soif des livres qui proviennent du fondement de Zurich. [43]

Dans une lettre de 1558, Calvin exprime sa grande joie d’avoir finalement appris que les livres de Vermigli sont publiés, et lui demande quand il commentera la Génèse et les prophètes.[44]

Calvin avait tellement de respect pour Vermigli qu’il était prêt à lui laisser l’entière responsabilité d’enseigner dans les églises françaises de à Genève.[45]

Nous voyons, par ces lettres, que Calvin et Vermigli ont travaillé ensemble dans la formulation des documents fondateurs de la théologie calviniste, et comment Calvin cherchait l’approbation de Vermigli dans ses formulations doctrinales.[46] Lorsqu’il était à Strasbourg (entre 1553 et 1556), il défendait, contre les Luthériens, les doctrines calvinistes au sujet des sacrements.[47] D’autres sujets que Vermigli défendait portaient sur la doctrine de Dieu et la Trinité.[48]

 

Bien bien qu’il soit l’un des théologiens les plus importants de la réforme, Pietro Martyr Vermigli est aujourd’hui quasiment oublié. Affirmer que le “Calvinisme”, ou plutôt la théologie de la réforme, n’aurait pas été aussi affirmée sans le travail de Vermigli n’est pas exagéré.

Une bonne partie des pasteurs réformés n’aurait pas était éduqués sans le travail incessant de ce théologien aristotélico-thomiste. Nous voyons, par l’étude de la vie de Vermigli, l’emphase que les pionniers de la réforme mettaient sur une solide éducation pastorale en matière de philosophie, de philosophie morale, de théologie, d’exégèse biblique, et des sciences de nature. Nous voyons, aussi, l’importance des philosophes et des théologiens chrétiens pour la croissance et santé de l’église.

Il existe de nos jours une tendance qui consiste à penser que l’élément le plus important de la formation pastorale est la “relation d’aide”. Dans les débuts de la Réforme, on croyait au contraire que la meilleure préparation pour diriger une église (avec tous ses défis et ses des difficultés humaines) était la théologie, la philosophie, la philosophie morale, et l’exégèse biblique.

 

Pourrions-nous, aujourd’hui, apprendre quelque chose de la vie de Vermigli?

 

 

 

DH

 

 

 

 

Notes et références

[1]John McLelland, dans un article publié en 2002, explique que les recherches contemporaines au sujet de Vermigli n’ont commencé qu’en 1949 avec la thèse de Mariano Di Gangi. “From Montreal to Zurich (1949-1999): Vermigli Studies Today”, in Peter Martyr Vermigli: Humanism, Republicanism, Reformation, ed. Emidio Campi (Genève: Librairie Droz, 2002).)

[2]John Calvin, “Letter to the Pastors of Zurich, September 1, 1557”, in The Letters of John Calvin, ed. Jules Bonnet (Philadelphia, PA: Presbyterian Board of Publication, 1858), 3:354.

[3]John Calvin, “Letter to Peter Martyr, August 27, 1554”, in The Letters of John Calvin, ed. Jules Bonnet (Philadelphia, PA: Presbyterian Board of Publication, 1858), 3:60.

[4]Louis Du Pin, Bibliothèque des auteurs séparez de la communion de l’Église romaine du XVIe et du XVIIe siècle (Paris: Pralard, 1718), I: 188, cité par John Patrick Donnelly, « Italian Influences on the development of Calvinist Scholasticism », Sixteenth Century Journal, VII, 1 (April 1976), 81. On pourrait même supposer que des théologiens tels que Vermigli ont eu un plus grand impact sur le développement de la théologie Calviniste que Jean Calvin lui-même, comme le fait John Stanley Bray dans sa thèse doctorale, Theodore Beza’s Doctrine of Predestination, PhD. Dissertation, (Stanford, CA : Stanford University, 1972), 104-105.

[5]Pour davantage d’informations concernant la vie de Vermigl, voir : John Patrick Donnelly, « Italian Influences on the development of Calvinist Scholasticism », Sixteenth Century Journal, VII, 1 (April 1976), 86-87. John Patrick Donnelly, “Calvinist Thomisim”, Viator, 7 (Jan. 1, 1976), 442-444. Philip McNair, Peter Martyr in Italy (Oxford: Oxford University Press, 1967). Joseph McLelland, The Visible Words of God (Grand Rapids: Eerdmans, 1957). Charles Schmidt, Peter Martyr Vermigli: Leben und ausgewihlte Schriften (Elberfeld: Friderichs, 1858). Klaus Sturm, Die Theologie Peter Martyr Vermiglis wdhrend seines ersten Aufenthalts in Strassburg 1542-1547 (Neukirchen: Neukirchener Verlag, 1971). La thèse doctorale de John Patrick Donnelly’s, Peter Martyr on Fallen Man: A Protestant Scholastic View (Madison, WI: University of Wisconsin-Madison, 1971). Joseph McLelland, ed., Peter Martyr Vermigli and Italian Reform (Waterloo, ON: Wilfrid Laurier University Press, 1980). Christopher A. Castaldo, The Grammar of Justification: The Doctrines of Peter Martyr Vermigli and John Henry Newman and their ecumenical implications, dissertation (Middlesex University/London School of Theology, 2014). Torrance Kirby, Emidio Campi and Frank A. James III, eds., A Companion to Peter Martyr Vermigli (Boston: Brill, 2009). Emidio Campi, ed., Peter Martyr Vermigli: Humanism, Republicanism, Reformation (Genève: Librairie Droz, 2002). Marvin Walter Anderson, Peter Martyr: A Reformer in Exile (1542-1562): A Chronology of Biblical Writings in England & Europe (Boston: Brill/De Graff, 1975). A short overview of Vermigli’s life can be found in chapter 10 of Justo L. Gonzalez, From the Protestant Reformation to the twentieth century, vol. 3 of A History of Christian Thought, 2nd ed. (Nashville, TN: Abingdon press, 1987), 268.

[6]Cf. Joseph McLelland, “Italy: Religious and Intellectual Ferment”, in A Companion to Peter Martyr Vermigli, ed. Torrance Kirby, Emidio Campi and Frank A. James III (Boston: Brill, 2009), 26.

[7]Donnelly, “Italian Influences”, 86-87.

[8]McLelland, “Italy: Religious and Intellectual Ferment”, 28.

[9]Cf. Donnelly, “Italian Influences”, 97.

[10]Cf. Donnelly, « Italian Influences », 81, 93, 96. Donnelly, « Calvinist Thomism », 442-443.

[11]Cf. Donnelly, “Italian Influences”, 89ff, 93, 101. Donnelly, « Calvinist Thomism », 442-443. Richard A. Muller, “Scholasticism, Reformation, Orthodoxy, and the Persistence of Christian Aristotelianism”, TRINJ, 19NS (1998), 86-87, 95.

[12]Cf. Donnelly, « Calvinist Thomism », 443.

[13]Cf. Donnelly, « Italian Influences », 92.

[14]Cf. Donnelly, “Italian Influences”, 97. McLelland, “Italy: Religious and Intellectual Ferment”, 30.

[15]Cf. McLelland, “Italy: Religious and Intellectual Ferment”, 30.

[16]Cf. Donnelly, “Italian Influences”, 97. Muller, “Scholasticism, Reformation, Orthodoxy, and the Persistence of Christian Aristotelianism”, 95.

[17]Donnelly, “Italian Influences”, 97.

[18]Ibid., 83-84. Il est impressionnant de constater à quel point l’éducation de nos pasteurs modernes est tellement pauvre en comparaison de la formation qu’ils recevaient au début de la Réforme

[19]Ibid., 84.

[20]Calvin, LJC, 2 :140fn1.

[21]Calvin, LJC, 4 :33fn1. McLelland, “Italy: Religious and Intellectual Ferment”, 33.

22]McLelland, “From Montreal to Zurich (1949-1999)”, 10.

[23]John Calvin, “Letter to Peter Martyr, January 18, 1555”, in The Letters of John Calvin, ed. Jules Bonnet (Philadelphia, PA: Presbyterian Board of Publication, 1858), 3:121.

[24]Ibid., 3:121fn1.

[25]Ibid., 3 :59fn1. Ma traduction. Cf. Donnelly, “Italian Influences”, 87.

[26]Ibid., 3:59fn1.

[27]Calvin, LJC, 2 :183fn1.

[28]Earl of Hertford, Duke of Somerset, et Regent of England, c’est en partie à travers le travail de ce politicien que la réforme a été instaurée en Angleterre (Ibid., 2 :182fn1.).

[29]Calvin, LJC, 3 :59fn1.

[30]Lorsqu’il était à Strasbourg Vermigli prenait soin d’une petite église reformée francophone, qui lui a causé beaucoup de misères, tant au niveau doctrinal que politique. (cf. Calvin, “Letter to Peter Martyr, January 18, 1555”, 3:121-126. John Calvin, “Letter to Peter Martyr, August 8, 1555”, in The Letters of John Calvin, ed. Jules Bonnet (Philadelphia, PA: Presbyterian Board of Publication, 1858), 3:217-218.)

[31]Cf. Frank James III, “Translator’s Introduction”, in Peter Martyr Vermigli, Predestination and Justification: Two Theological Loci, ed. Frank James III (Kirksville, Missouri: Trueman State University Press, 2015), xxiv-xxv.

[32]Cf. Donnelly, “Italian Influences”, 87.

[33]Calvin, “Letter to Peter Martyr, January 18, 1555”, 3:125-126.

[34]Ibid.

[35]John Calvin, The Letters of John Calvin, ed. Jules Bonnet (Philadelphia, PA: Presbyterian Board of Publication, 1858), 1: 378fn1.

[36]John Calvin, “Letter to the Pastors of Zurich, September 1, 1557”, in The Letters of John Calvin, ed. Jules Bonnet (Philadelphia, PA: Presbyterian Board of Publication, 1858), 3 :353-354.

[37]John Calvin, “Letter to Peter Martyr, August 27, 1554”, in LJC, 3:60. Cf. Calvin, “Letter to Peter Martyr, January 18, 1555”, 3:125.

[38]Ibid., 3 :60.

[39]Ibid., 3 :59-60. Cf. Calvin, “Letter to Peter Martyr, January 18, 1555”, 3:125.

[40]Calvin répondait à une lettre de Vermigli dans laquelle celui-ci parlait de l’importance de la publication des commentaires de Calvin.

[41]John Calvin, “Letter to Peter Martyr, August 27, 1554”, in LJC, 3:59.

[42]Ibid., 3 :60. Traduction le mien.

[43]John Calvin, “Letter to Peter Martyr, January 31, 1557”, in LJC, 3:313. Traduction le mien.

[44]John Calvin, “Letter to Peter Martyr, May 22, 1558”, 3 :421.

[45]John Calvin, “Letter to Peter Martyr, January 31, 1557”, in LJC, 3:314.

[46]John Calvin, “Letter to Peter Martyr, November 27, 1554”, in LJC, 3:98. John Calvin, “Letter to Peter Martyr, May 22, 1558”, in The Letters of John Calvin, ed. Jules Bonnet (Philadelphia, PA: Presbyterian Board of Publication, 1858), 3 :421.

[47]Cf. Calvin, “Letter to Peter Martyr, January 18, 1555”, 3:121-126.

[48]Cf. Donnelly, « Calvinist Thomism », 444.

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