Pourquoi les livres de nos Bibles sont-ils dans cet ordre ?

Vous êtes-vous déjà demandé s’il y avait un ordre spécifique à l’arrangement des livres à l’intérieur même de la Bible ? Suit-il une logique spécifique ou les livres ont-ils été rangés au hasard ? Suivons-nous simplement une vieille tradition ? Il est vrai que les livres de la Bible n’ont pas toujours été classés comme nous les trouvons dans nos Bibles protestantes actuelles.

Déjà, il est bon de noter que, même si le découpage en trois parties de l’Ancien Testament remonte à plusieurs siècles avant Jésus, nous savons également que le classement des livres n’était pas forcément fixe au sein du corpus des Écrits ou des Prophètes. En effet, au temps de la rédaction de ces livres, il n’y avait que des rouleaux. Un ordre n’était donc pas nécessaire, même si celui du Pentateuque était acquis. Déterminer un ordre est cependant devenu pertinent avec la création des codex. Je me suis personnellement penché sur cette question du besoin d’une structure à cause de l’herméneutique. En effet, lorsque j’étudie un texte biblique (pour préparer une prédication par exemple), je me pose les deux questions suivantes : 1) Pourquoi ce livre est-il à cet endroit ? et 2) Qu’est-ce qui manquerait s’il n’était pas là ?

Si je dois me poser ce genre de questions, cela implique donc pour moi que l’agencement des livres dans la Bible a une importance et suit une logique particulière.

Cependant, pourquoi le « classement protestant » serait-il le seul et/ou le meilleur ? Nous savons par exemple que les juifs ne classent pas leurs livres dans le TaNaKh de la même manière que nous. Chez eux, l’Ancien Testament se termine avec 2Chroniques, alors que chez nous il se termine avec Malachie. Leur façon de ranger les livres était pertinente dans leur contexte historique, car le livre des Chroniques – en annonçant l’édit de Cyrus et le retour d’Exil – offre une espérance au peuple juif. Mais nous ne sommes pas juifs. Ce classement utile en son temps n’est pas le plus pertinent pour un chrétien – comme nous le verrons. D’ailleurs, la LXX (version grecque de l’Ancien Testament) suit de manière plus générale (car il existe plusieurs versions de la LXX) le rangement de nos Bibles protestantes.

De plus, nous pouvons aussi remarquer que les Bibles Catholiques/Œcuméniques et Orthodoxes ont, elles aussi, un classement différent. Mais le problème est identique à ce qui vient d’être dit. Ils intègrent également des livres que nous appelons deutérocanoniques et des apocryphes. Mais comme le souligne Ladd, ces livres ne traitent pas du même sujet que les livres canoniques[1]. Avec le schéma qui suit, j’ai essayé de représenter la vision qui semble se dégager de la Bible, et nous allons essayer de la comprendre.

 

 

Structure de l’Ancien Testament

Nous pouvons déjà remarquer que l’Ancien Testament suit une division tripartite (Loi, Écrits, Prophètes). Mais ces trois parties ne sont pas trois histoires différentes, et ce malgré la diversité d’auteurs, de styles littéraires, et la longueur de la rédaction. Cette histoire est une histoire continue qui va de la création en Genèse à la déportation du peuple juif à Babylone à la fin des Rois. Nous pouvons également remarquer qu’il y a de nombreux liens internes entre les différents corpus. En effet, les Écrits sont un développement de la Loi et parlent de nombreuses fois du roi David. De même, bien qu’il n’ait pas laissé de livre lui-même, Élie (présent dans le premier corpus) est celui qui représente tous les prophètes.

Mais si l’histoire suit un ordre chronologique et historique, le développement biblique ne va pas dans le même sens. Ce qui nous amène à nous poser la question du cas de l’ensemble historique Chroniques-Esther et de l’ensemble prophétique des Petits Prophètes. Quelle est leur utilité ? Pourquoi ce « retour en arrière » temporel ? Ces ensembles de textes souvent boudés dans nos Églises sont pourtant capitaux pour nous, chrétiens.

Le corpus Chroniques-Esther répète toute l’histoire, mais ne nous laisse pas en Exil. Au contraire, en tant que lecteurs, les Chroniques nous font rentrer de l’esclavage avec les Israélites. De même, l’ensemble des Petits Prophètes ne nous laisse pas en plant au niveau des mystères eschatologiques de Daniel, mais ils nous conduisent plus loin dans l’histoire par le biais des prophéties de Malachie (Ml 3.1, 23). Ces deux ensembles constituent une vision parallèle de l’Histoire qui nous pousse vers Jésus et qui installe le contexte historique nécessaire pour comprendre l’époque du Nouveau Testament. De plus, nous pouvons également relever des liens entre ces deux corpus – par exemple avec les mariages mixtes (Esd 10 ; Ne 13 ; Ml 2).

En ce qui concerne les livres de Ruth et des Lamentations qui ont été sortis des Écrits, nous pouvons remarquer qu’ils trouvent formidablement leur place entre Josué et Juges, et Jérémie et Ézéchiel. Ils font un lien entre ces livres, mais eux aussi nous conduisent au Christ et à l’espérance (Rt 4 ; Lm 3). Ils sont la lumière au milieu des ténèbres que sont ces deux périodes des Juges et de la fin du Royaume du Sud. Chacun de ces livres « s’appuient sur les livres antérieurs »[2] pour nous conduire plus loin.

 

 

Structure du Nouveau Testament

En ce qui concerne le Nouveau Testament, nous pouvons également remarquer qu’il se divise en trois parties qui forment d’une certaine manière un parallèle avec la forme de l’Ancien Testament : les évangiles formant une « Loi spirituelle » en opposition à la Loi écrite sur la pierre (2 Co 3), les Actes et les épîtres formant un ensemble d’Écrits, et l’Apocalypse représentant les prophètes.

De même que pour l’Ancien Testament, nous pouvons voir que le Nouveau fournit également des liens internes à son corpus et que des personnages récurrents apparaissent, comme par exemple Luc qui fait le lien entre les évangiles et les écrits, et l’apôtre Jean qui fait le lien entre les évangiles, les écrits et le seul livre prophétique qu’est l’Apocalypse[3].

Mais nous pouvons également remarquer qu’il y a continuité et discontinuité entre les deux Testaments. Continuité dans le sens où Esdras et Néhémie fournissent en réalité la toile de fond historique et culturelle du Second Temple où va se dérouler l’action du Nouveau Testament. Continuité également car le prophète Malachie annonce la venue d’un messager pour annoncer l’arrivée du Seigneur (Ml 3.1 ; Mc 1.3). Ce personnage, qui n’est autre que Jean-Baptiste, sera également associé au nouvel Elie qui devait venir (Ml 3.23 ; Mt 11.14). Il sera donc le lien direct entre l’Ancien et le Nouveau Testament. Mais il y a aussi discontinuité car l’incarnation du Christ – sa venue parmi nous – annonce aussi de grands bouleversements et un renversement de situation.

Nous pouvons encore relever que l’histoire du Nouveau Testament forme un tout continu. Cela est particulièrement intéressant, car nous savons que les livres ne sont pas rangés dans un ordre chronologique selon leur rédaction, mais dans leur développement. Nous voyons par exemple une progression et une complémentarité dans les évangiles. Les synoptiques nous préparent à l’évangile selon Jean. Ils nous permettent de bien connaître Jésus avant de passer à la suite. Certains vont même jusqu’à dire qu’on « passe du terrestre au spirituel » – attention toutefois à ne pas trop accentuer les différences non plus.

À une échelle plus grande, l’un de mes professeurs à l’IBG nous avait montré que l’on pouvait voir la manifestation du Christ dans les évangiles, sa prédication dans les Actes, son enseignement dans les Épîtres, et son Retour dans l’Apocalypse.

De même, nous nous sommes beaucoup interrogés sur le fait que le livre des Actes – qui ne formait qu’un seul livre avec l’évangile de Luc à l’origine – soit séparé de ce dernier. Mais, en réalité, il est à la place qui lui convient le mieux. Il donne en effet le cadre historique qui va nous introduire dans les Épîtres. Il forme également une transition et une introduction à l’apôtre Paul. Sans les Actes, on se demanderait ce que cet apôtre inconnu fait là. Mais ce livre donne en réalité sérieux et légitimité aux écrits de Paul. De plus, il nous est dit dans les Actes que Paul enseignait dans les Églises (Ac 15.41). Mais qu’enseignait-il ? Il est dit de persévérer dans la doctrine des apôtres (Ac 2.42).

Mais que cela signifie-t-il ? Les Épîtres sont la réponse. Les épîtres de Jacques, Pierre, Jean et Jude sont placées après celles de Paul pour confirmer l’enseignement de ce dernier par leur autorité apostolique. Et l’Apocalypse, qui se termine avec le sommet de la Révélation dans la Nouvelle Jérusalem qui rappelle le jardin d’Eden (Ap 21-22), referme le grand chiasme de l’histoire biblique tel qu’aucun autre livre n’aurait pu le faire.

Mais ce qui est intéressant, c’est aussi de constater que les Épîtres elles-mêmes semblent suivre une logique. Nous commençons donc avec les fondements et un exposé doctrinal (Rm), avant d’être mis en garde contre les travers du laxisme (1Co-2Co) et du légalisme (Ga). Nous sommes appelés à vivre l’unité de l’Église (Ep) dans la joie (Ph) car nous avons tout en Christ (Col). Mais en attendant son Retour (1Th-2Th), Paul nous enseigne comment se conduire et diriger l’Église (1Tm-2Tm-Tt) et vivre la communion fraternelle (Phm).

Nous voyons ensuite l’unité et la révélation progressive de la parole de Dieu dans une sorte de synthèse et de clé de lecture de l’Ancien Testament (He). Puis nous passons à des conseils pratiques et éthiques (Jc), d’encouragements dans l’épreuve et la souffrance (1P-2P) à une exhortation sur l’amour et l’hospitalité ainsi qu’une mise en garde contre les faux docteurs (1Jn-2Jn-3Jn). La boucle est bouclée dans une sorte de récapitulation qui nous rappelle de « persévérer dans la foi transmise aux saints une fois pour toute » (Jd 3). Et durant tout ce parcours, tous les grands personnages et évènements de l’Ancien Testament nous sont rappelés.

 

Conclusion

La Bible est donc un méta-récit sous forme de révélation progressive. Il y a en elle une unité dans la diversité, à l’image de notre Dieu trinitaire. Son développement est en même temps diachronique (historique) et synchronique (biblico-théologique), et contient deux témoignages qui se distinguent mais qui se complètent : un témoignage prophétique et un témoignage apostolique.

Nous avons également pu relever qu’il y avait une cohérence interne entre chacune de ses parties, mais aussi dans sa globalité. Et tout cela n’est pas une tentative de ma part de forcer la beauté de la Bible ni son autorité. Ladd disait que « l’unité des livres canoniques est intrinsèque plutôt qu’imposée par l’extérieur »[4].

Je suis convaincu de l’inspiration des livres bibliques comme je suis convaincu de l’inspiration de leur classement. Et cela n’est pas en contradiction avec le fait que le classement ait bougé au cours de l’Histoire – au contraire. Tout comme la révélation a été progressive, la forme du canon biblique l’a été elle aussi pour répondre – comme nous l’avons vu – aux besoins du moment.

Certains tenteront à ce niveau de faire des remarques sur les différences de titres que l’on retrouve dans nos Bibles actuelles ou sur les numérotations de chapitres qui peuvent varier (comme en Malachie qui peut avoir 3 ou 4 chapitres suivant les versions). Mais je voudrais rappeler que les classifications des livres bibliques (Livres historiques, Écrits, Megilloth, etc.) ne sont pas inspirées, mais mises en place par l’homme pour aider.

C’est pour cela que je me permets dans cet article d’appeler les évangiles « Loi spirituelle » et les Actes-Épîtres « Écrits ». De même, les noms donnés aux livres (les Chroniques étaient d’abord appelées Paralipomènes), les titres insérés dans la Bible, le découpage en chapitres et versets est quelque chose d’humain (bien qu’utile). Mais la formation et la transmission de la Bible sont divines, dans le sens que la Providence de Dieu a veillé sur ces processus.

Ce que je partage ici est le simple exposé de mes convictions. Et tout cela m’amène à la centralité du Christ dans cet ensemble. Au moment de la Transfiguration (Mt 17), c’est bien Moïse et Élie, la Loi et les Prophètes qui regardent tous deux dans la direction du Christ. Tim Keller nous encourage donc dans notre lecture, notre interprétation, nos applications, à être christocentrique et à « replacer n’importe quelle partie de la Bible dans son contexte global »[5]. Et le contexte de la Bible n’est autre que le Christ. Des théologiens ont dit que « tout l’Ancien Testament l’annonce, les évangiles nous le révèlent, et tout le reste du Nouveau Testament y retourne pour nous l’expliquer », et que « les deux Testaments le regardent : l’un comme sa promesse, l’autre comme son accomplissement ».

Pour terminer, je souhaite revenir à ma question herméneutique de départ pour en tirer quelques applications pratiques. Déjà, nous devons arracher la page blanche qui sépare les deux Testaments dans nos Bibles. Nous n’avons pas deux livres mais un seul ! De même, des principes comme ceux de l’analogie de la foi doivent avoir une place capitale dans notre compréhension du texte biblique. Je ne peux pas prendre un verset, le sortir de son contexte, et établir une doctrine par ce biais. Je dois regarder au contraire ce que dit toute la Bible sur ce sujet.

De même, encore, je dois toujours m’efforcer d’amener ce que je lis au Christ car absolument chaque phrase parle de lui, soit directement soit indirectement (Lc 24.44). Peut-être qu’un article sur le christocentrisme/christotélisme suivra. Les principes de la typologie et de l’intertextualité trouvent aussi ici tout leur intérêt.

Je vous encourage donc, pour finir, à connaître toute votre Bible et non pas juste vos passages préférés. Quand vous lisez ou étudiez un passage, gardez toujours en tête cette grande ligne qui traverse toute l’histoire biblique. Ne vous intéressez pas seulement à la théologie systématique, mais, en même temps, ayez la théologie biblique en toile de fond avec les grands thèmes qui traversent toute la Bible (comme par exemple l’Alliance, le Royaume de Dieu, le Temple, etc.).

Cela vous aidera et vous fera découvrir la Bible comme vous ne l’avez jamais vue.

 

 

Notes et références

[1] LADD G.E, Théologie du Nouveau Testament, Charols, Exelcis, 2010, p 29.

[2] ALEXANDER Desmond & ROSNER Brian, Dictionnaire de théologie biblique, Charols, Exelcis, 2006, p 47.

[3]  ALEXANDER Desmond & ROSNER Brian, Dictionnaire de théologie biblique, Charols, Exelcis, 2006, p 47.

[4] LADD G.E, Théologie du Nouveau Testament, Charols, Exelcis, 2010, p 29.

[5] KELLER Tim, Une église centrée sur l’évangile, Charols, Excelsis, 2015.

 

 

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Renaud Genevois est pasteur à l’Église Perspectives de Colmar. Avant cela, il a été enseignant dans des écoles chrétiennes durant plusieurs années. Il a étudié à l’Institut Biblique de Genève et à l’Institut Supérieur Protestant à Guebwiller. Il prépare actuellement un master de théologie à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Renaud est allé plusieurs fois en Afrique enseigner dans un institut biblique et former des enseignants chrétiens. Il écrit régulièrement pour le Bon Combat.