L’eschatologie des épîtres générales – analyse systématique (partie 3)

Après avoir expliqué pourquoi nous avions choisi d’étudier l’eschatologie des épîtres générales dans un premier article, nous avons  effectué une étude systématique de la lettre de Jacques dans un second article, et une autre sur les deux lettres de Pierre dans un troisième article.

Tournons nous maintenant vers la littérature Johannique et vers la lettre de Jude.

 

L’eschatologie de Jean

L’enseignement eschatologique de l’apôtre Jean est moins développé que ceux de Jacques et de Pierre, et sa troisième lettre ne contient pas d’éléments concernant les évènements de la fin. Cependant, l’apôtre de l’amour a tout de même des choses à dire et à nous apprendre. En effet, il introduit des thèmes que nous avons pour le moment plutôt survolés comme la vie éternelle, l’union au Christ, notre glorification, et bien entendu l’amour, bien qu’il mentionne également des thèmes déjà abordés comme l’élection puisqu’il écrit sa deuxième lettre à la Dame qui a été élue (2Jn 1).

 

Le premier thème est donc celui de la vie éternelle. Jean commence en faisant une opposition dualiste entre le caractère éphémère de ce qu’il appelle « le monde », autrement dit le système corrompu par le péché dans lequel nous vivons tous actuellement, et la dimension éternelle de ceux qui par la foi (et par l’amour) demeurent (ou restent unis) à Dieu (1Jn 2.17). Il y a donc clairement opposition entre le temporaire et l’éternel. Et cet appel de l’apôtre revêt également une dimension éthique car il appelle les chrétiens à tourner leurs yeux et leurs pensées non vers ce qui est corrompu, mais vers ce qui est saint en nous rappelant de manière à peine voilée le péché d’Adam. La vie éternelle que le chrétien obtient en étant uni à Jésus est ainsi mise en contraste avec la mort du premier qui a décidé de se séparer de son Créateur. C’est donc le test éthique de Jean : « Recherchez les choses d’en-haut ». Et ce caractère temporaire du monde est mis en relief dans le verset suivant (1Jn 2.18).

Ici, Jean utilise l’expression « c’est la dernière heure » qui est synonyme de celles que nous avions vu précédemment comme « les temps de la fin » ou « ces jours qui sont les derniers ». Nous retrouvons cette notion d’imminence et d’empressement. D’où l’urgence du message de Jean. Comme nous avions vu les faux-docteurs, les faux prophètes, ou les faux enseignants chez Pierre, Jean nous parle ici de la venue de l’Antichrist. Cette venue sera future et marquera la fin de toute chose. Mais en attendant, il y a déjà maintenant de nombreux antichrists qui sortent des rangs mêmes de l’église (comme nous le verrons aussi chez Jude). Ces antichrists (qui sont des types de l’Antichrist final) sont la preuve que nous sommes proches de la fin (Mt 24.24). Il y a donc également ici cette tension du « déjà et pas encore ». Et ce qui les caractérise est un problème doctrinal : ils ne reconnaissent pas que Jésus soit le Messie venu en tant qu’homme (1Jn 2.22).

Mais Jean nous explique que c’est justement parce que Jésus est le Messie venu en tant qu’homme pour nous sauver que nous devons rester unis à lui pour avoir la vie éternelle. En effet, Christ est en lui-même la vie éternelle (1Jn 1.2, 2.25). Posséder Christ, c’est posséder la vie éternelle. Celui donc qui est menteur est aussi un meurtrier (anthrôpoktonos). Et aucun meurtrier n’a la vie éternelle en lui (1Jn 3.15). Ce terme est fort, car la seule fois où il est utilisé ailleurs dans la Bible, c’est quand Jésus décrit Satan comme étant un meurtrier dès le commencement (Jn 8.44). Jean lie même la divinité du Christ au fait qu’il soit la vie éternelle (1Jn 5.20). Etre uni à Christ, c’est donc demeurer en Dieu et lui en nous, et posséder la vie éternelle ! Et cela n’est pas juste un développement théologique abstrait, car Dieu rend lui-même témoignage que celui qui croit en son Fils a la vie éternelle (1Jn 5.11-13). C’est donc par la foi que Jésus vient demeurer en nous.

Et comme Jésus est dans le Père, celui qui possède le Fils possède également le Père, et inversement. Et l’Esprit vient lui rendre témoignage. Nous sommes donc appelés à posséder la Trinité en nous afin que nous soyons unis à la Trinité éternellement.

 

Mais si tout cela est possible c’est uniquement grâce à l’amour de Dieu qui prend l’initiative et qui envoie en nous par l’Esprit-Saint l’amour pour lui (et pour les autres qui possèdent le même Esprit d’amour que nous ; cf. Rm 5.5). Il y a donc un lien entre amour et vie éternelle qui sont tous les deux des attributs de Dieu qu’on ne peut séparer (c’est la simplicité de Dieu). Et cela est également valable pour la vérité, car Christ est la vérité (Jn 14.6). Posséder Christ, c’est donc posséder la vérité pour l’éternité (2Jn 2). Dieu se communique à nous véritablement dans ses attributs communicables. Finalement, si nous avons la vie éternelle alors nous avons également l’amour. Si nous avons l’amour, c’est que nous avons la vie éternelle. Et cela signifie que nous possédons l’Esprit de Dieu et que dieu demeure en nous et nous en lui. Si nous n’aimons pas, alors nous n’avons pas la vie éternelle. Voilà le test de Jean. Mais l’amour eschatologique est aussi une assurance au Jour du Jugement. Voilà deux thèmes déjà longuement abordés qui reviennent et qui sont liés par l’amour.

Nous sommes appelés à être dans ce monde tout comme Dieu est, c’est-à-dire amour (1Jn 4.17). Cet amour concret manifesté dans la pratique de la vie chrétienne est un témoignage pour les autres mais aussi pour nous-mêmes que nous sommes en communion avec Dieu. L’amour est donc un des piliers de l’assurance chrétienne. Nous devons regarder notre jauge d’amour pour savoir si Dieu demeure en nous (en se rappelant tout de même qu’il y a une marge de progression dans la sanctification). Et cet amour sera notre déclaration de non-culpabilité devant le tribunal divin au dernier jour. Nous sommes donc ici encouragés par Jean à imiter Dieu (imitatio Dei). Cette imitation aura des conséquences présentes et futures. Et nous sommes appelés à le faire en paroles et en actes. Cet amour eschatologique et cette « union mystique » devenant ainsi apologétiques.

 

Et ces notions d’union, d’assurance, et de Jugement se retrouvent liées au thème de la venue (parousia) du Christ (1Jn 2.28). Jean souhaite vraiment encourager ses lecteurs en leur rappelant cette assurance du Salut qu’ils possèdent en demeurant en Jésus. Car quand ce dernier apparaîtra de nouveau, alors nous serons gardés par et pour lui. Mais pour ceux qui auront rejetés la foi, alors ils auront la honte d’être jetés loin de lui. Voilà leur Jugement. Et tout comme la vie en Christ est éternelle, son Jugement le sera également ! Forts de cette assurance, Jean nous encourage à persévérer dans la foi et la saine doctrine afin que nous ne perdions pas le fruit de notre travail, mais que nous recevions une pleine récompense (2Jn 8). De plus, Jean insiste sur le fait que la vie éternelle n’est pas juste une chose future, mais qu’elle se vit dès aujourd’hui[1]. Encore une fois, nous pouvons relever que le Retour du Christ et le Jour du Jugement semblent ne former qu’un seul et même évènement, et que plusieurs Retours ne semblent pas envisagés. Pas plus qu’une venue secrète ou qui ne concernerait qu’une catégorie de personnes. Tout cela sera bien visible par tous et concernera l’univers dans son entier.

 

Et ceci est manifesté dans le dernier thème qui est celui de notre glorification à l’image du Christ (1Jn 3.2-3). Jean écrit à ses lecteurs que ce que nous serons « un jour » n’a pas encore été manifesté (phaneroô), bien que nous soyons « déjà » enfants de Dieu. Notre manifestation est ici mise en parallèle avec celle du Christ. C’est quand il apparaîtra que nous apparaîtrons également tel que nous sommes réellement, glorifiés. Nous serons semblables à lui, et nous le verrons tel qu’il est. Nous ne le verrons plus par la foi seulement, mais par nos yeux. La résurrection corporelle est donc ici sous-entendue. Quel encouragement pour nous de penser que nous serons comme lui. Sa résurrection et sa glorification étant aujourd’hui les modèles qui nous serons appliqués. Voilà l’espérance de la vie chrétienne et l’encouragement pastoral de l’apôtre. Et Jean rajoute une dimension éthique à cet enseignement théologique, car le Retour du Christ et notre glorification futures deviennent aujourd’hui la base de notre sanctification et de notre purification pour devenir conformes à son image.

Mais le même mot grec (phaneroô) est utilisé en lien avec la purification pour parler également de la première venue du Christ : son incarnation (1Jn 3.5). Jean créé ainsi une continuité entre les deux venues du Christ et son œuvre de Rédemption. Car si Christ est venue une première fois, c’était pour enlever nos péchés afin que nous soyons purs comme lui-même est pur. Il y a donc également continuité entre notre justification / sanctification et notre glorification. Malgré la tension eschatologique dont nous avons déjà parlé, la Bible parle bien d’une seule et même œuvre qui forme un tout parfait.

Pour terminer cette étude des épîtres générales, penchons-nous donc à présent sur la dernière de ces lettres qui est celle de Jude.

L’eschatologie de Jude

En ce qui concerne l’épître de Jude, il est important de relever que malgré sa taille relativement brève, elle est cependant gorgée d’eschatologie. Mais contrairement à Jacques ou Pierre qui évoquaient beaucoup de thèmes en lien avec l’eschatologie, notons qu’ici seulement deux grands thèmes semblent se dégager : le Retour de Jésus et le Jour du Jugement.

Commençons avec le thème du Retour de Christ. Ce dernier est évoqué de manière plus discrète que le thème du Jugement, mais il est pourtant bel et bien présent pour faire contrepoids. Et il apparaît de manière discrète dès l’ouverture de la lettre (Jd 1). En effet, Jude écrit à ses destinataires qu’ils sont gardés pour Jésus-Christ. Nous avions déjà vu dans la deuxième épître de Pierre une allusion identique (2P 2.9). Si Dieu va livrer les impies à leur débauche pour le Jour du Jugement, en revanche il va garder ses enfants. Sous-entendu, il va les garder, les préserver jusqu’au Retour de son Fils Jésus-Christ. Nous rejoignons ici les idées d’assurance, de patience, d’espérance, et de persévérance que nous avions déjà évoquées précédemment. De plus, si Dieu garde ses enfants, c’est parce qu’il les a appelés écrit Jude. Le thème de l’élection revient donc également ici en lien avec l’espérance eschatologique chrétienne. Et si Jésus revient, c’est également pour Juger (Jd 14-15). Nous voyons dans ces versets que le Jugement et le Retour du Christ semblent être la même chose et que tout se passe en une fois. Les deux sont indissociables. Christ ne reviendra pas seul, mais il viendra avec ses saintes troupes. La venue de Christ sera majestueuse, visible, et bruyante comme la venue d’une armée (Mt 24.30-31).

Mais en attendant sa venue, nous sommes appelés en tant que disciples à nous maintenir dans l’amour de Dieu jusqu’au Jour où la compassion, la miséricorde de Christ sera manifestée pour la vie éternelle (Jd 21). Le Jour du Jugement sera donc aussi un Jour de compassion ! Jude prend un ton pastoral pour encourager ses lecteurs à persévérer dans la foi par ses paroles d’espérance. Et cela le pousse à louer Dieu dans une magnifique prière finale. Doxologie et eschatologie sont à nouveau liées. En effet, en ce Jour, Dieu nous placera lui-même dans la présence de sa gloire afin que nous soyons aussi glorifiés (Jd 24). Voilà le but (télos) final de l’eschatologie : contempler la gloire de Dieu. Eschatologie et gloire (ou grâce) sont inséparables. Cela nous conduit à la dimension sotériologique de l’eschatologie en nous rappelant le but de notre Salut en Jésus-Christ.

 

Mais le thème du Jugement qui est très présent vient assombrir ce tableau idyllique pour ceux qui leur vie durant auront refusé de mettre leur foi en Jésus. En effet, Jude parle d’hommes avec une éthique déviante qui se sont glissés au sein de l’Eglise et qui tentent de perdre les frères et sœurs, nous rappelant ce que nous avions déjà lu chez Jean (1Jn 2.19). Pour eux, la condamnation est écrite depuis longtemps (Jd 4). Si Jude commence et termine sa lettre – comme une inclusion – sur la note positive de la venue de Jésus, tout le cœur est teinté du Jugement Dernier. Croyants et incroyants sont mélangés au sein de l’église visible, ce qui entraîne des problèmes éthiques (un thème important des épîtres précédentes et qui n’est ici pas absent). Encore une fois, dans ce verset, décrets et eschatologie sont liés. Mais cela n’implique pas un déterminisme et encore moins un fatalisme.

C’est bien de leur propre responsabilité que ces hommes se condamnent eux-mêmes. Et Jude va expliciter cela en utilisant plusieurs exemples tirés de l’Ancien Testament. Il va déjà rappeler à ses lecteurs l’Exode et le séjour du désert en leurs montrant qu’il s’agissait d’une préfiguration du Jugement Final à cause de l’incrédulité des Israélites sortis d’Egypte sous la conduite de Moïse (Jd 5). Puis il va parler des anges déchus qui sont enchaînés pour le Jugement du Grand Jour. Ce n’est donc pas que les hommes qui seront jugés, mais aussi l’invisible, les choses célestes. Le Jugement sera cosmique (Jd 6). Il prend finalement l’exemple des villes de Sodome et de Gomorrhe qui subissent la peine d’un feu éternel à cause de leur débauche (Jd 7). Tout cela annonçait le Jugement Dernier.

Ce qui est donc reproché à ces impies c’est leur incrédulité, leur débauche, le fait de ne pas avoir gardé leur rang et de se moquer des réalités célestes. Jude les compare à des astres errants auxquels l’obscurité des ténèbres est réservée pour l’éternité (Jd 13) ! Les mots sont forts et ne laissent pas de place pour un universalisme même hypothétique, pour un Purgatoire, ou pour une conception annihilationsite. Tous nous serons jugés (Jd 14), mais les impies devront rendre compte de leurs actes infâmes devant les saintes troupes du Christ revenue en gloire (Jd 15). Ce Jour, bien que grandiose, s’annonce comme terrible pour les pécheurs non-repentants. Aucune échappatoire ne sera possible.

 

 

 

Notes et références :

[1] LADD George E., Théologie du Nouveau Testament, Excelsis, Charols, 2010, p 633

 

 

 

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Renaud Genevois est pasteur à l’Église Perspectives de Colmar. Avant cela, il a été enseignant dans des écoles chrétiennes durant plusieurs années. Il a étudié à l’Institut Biblique de Genève et à l’Institut Supérieur Protestant à Guebwiller. Il prépare actuellement un master de théologie à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Renaud est allé plusieurs fois en Afrique enseigner dans un institut biblique et former des enseignants chrétiens. Il écrit régulièrement pour le Bon Combat.